
Londres veut mettre les bouchées doubles dans le secteur numérique. Alors même que le positionnement de la capitale britannique dans la sphère bancaire s’affaiblit, le gouvernement entend donner une place de choix à Londres dans le secteur technologique mondial. L’aventure de Tech City débute en novembre 2010 : le premier ministre David Cameron et le maire de Londres Boris Johnson lancent alors l’initiative Tech City dans l’objectif de soutenir la croissance des entreprises numériques dans l’est de Londres. Au moment du lancement, ce quartier branché et jeune de Londres regroupe 200 entreprises numériques. Elles sont aujourd’hui 1300 (Source : UK Trade & Investment).
Dans l’intervalle, un soutien sans faille de la part de Londres : le gouvernement a annoncé l’an dernier un investissement à hauteur de 50 millions de livres de façon à revitaliser ce quartier que l’on appelle aussi la Silicon Roundabout, clin d’œil appuyé à sa grande sœur la Silicon Valley. Au total, ce sont plus de 10 Mds de livres qui auraient été investis dans ce quartier. Les entreprises internationales comme Cisco, Amazon ou Intel y ont ouvert des bureaux. On y trouve aussi des investisseurs (Accel, Passion Capital ou Index Ventures), des accélérateurs (Techstars, The Bakery London …) et de nombreuses start-ups dans le domaine de la finance en ligne, la mode ou encore l’informatique. Google y a également créé un campus, distinct de ses bureaux : «Nous sommes ravis de fournir aux entrepreneurs un garage amélioré » explique en souriant Eze Vidra, responsable de Campus London.
Lancé il y a tout juste un an sur Bonhill Street, Campus London est un lieu de rencontre et d’éducation des entrepreneurs de tous horizons. Véritable agrégateur de start-ups, ce bâtiment sur plusieurs étages offre ainsi une plateforme d’échanges aux jeunes pousses désireuses de s’informer sur les étapes à franchir pour créer leur entreprise. « Les entrepreneurs viennent ici pour mener à bien leurs projets et se faire connaître » explique Eze Vidra. À l’entrée, un « confessional booth », (littéralement : un confessionnal) permet ainsi aux entrepreneurs qui le désirent d’être filmés et de se présenter en 60 secondes. Pas besoin de se creuser la tête : une liste de questions posées sur écran vient en aide aux plus stressés.
« Tout le monde peut venir et s’enregistrer sur Campus London, » poursuit le responsable, « c’est un espace qui reste ouvert aussi bien aux mentors qu’aux journalistes ou aux acteurs du capital-risque ». Les créateurs d’entreprises peuvent aussi se retrouver au café situé en sous-sol dans le fameux Central Working, un véritable bouillon de culture intellectuel débouchant sur un coin de verdure: « c’est dans cet endroit que vous pouvez avoir la chance et l’occasion de rencontrer votre prochain associé, » explique Eze Vidra.
Depuis deux mois, le campus a également introduit une série de séminaires éducatifs au cours desquels sont invités des responsables de Google ou des personnalités du monde de l’entreprise venus distribuer des conseils aux jeunes entrepreneurs sur des sujets aussi variés que la gestion de produit, les relations presse ou le recrutement. La gratuité totale de tous les services présents sur le campus est un facteur d’attractivité important pour les jeunes entrepreneurs : au total, plus d’un millier de start-ups ont reçu une forme d’aide sur le Campus London au cours de l’année écoulée. Mais quel intérêt pour Google ? « Google ne connaît pas les start-ups évoluant sur ce campus et les recruteurs de cette entreprise n’y sont autorisés qu’à la condition d’aider au développement de ces start-ups,» assure Eze Vidra, « pour Google, l’intérêt de cette plateforme est réellement de promouvoir un bon réseau de starts-ups. C’est à la fois positif pour ces entreprises et pour Google ».
Certains jeunes expatriés français y ont vu une belle rampe de lancement, à l’image de Dan Cohen, qui s’apprête dans les toutes prochaines semaines à lancer le site de vente de vins www.bemywine.co.uk : «C’est un accélérateur incroyable, » souligne le jeune entrepreneur présent sur le campus depuis un peu plus d’un mois, «nous avons d’ores et déjà commencé à trouver des fonds auprès de capitaux-risqueurs ». Même enthousiasme de la part de Guillaume Santacruz, un ancien banquier d’affaires parisien reconverti dans la réservation d’espaces de travail au travers de la plateforme de marché Venue Scanner. Présent depuis quatre mois sur Campus London, l’entrepreneur a franchi la Manche, car « l’anglais ouvre sur des marchés importants comme le Commonwealth ou les Etats-Unis ».
Une fois leurs entreprises lancées, ces jeunes entrepreneurs pourront rester dans l’antre de la TechCity et déménager à quelques centaines de mètres de là sur le site de White Bear Yard, un incubateur situé dans le quartier branché de Clerkenwell. Espace de co-travail pour les jeunes start-ups dotées de 3 à 10 salariés, le site accueille notamment Mendeley, une société éditrice d’un logiciel de gestion bibliographique, dédié à la gestion et au partage de travaux de recherche.
Fondée en novembre 2007, la société a été rachetée en avril dernier par le géant de l’édition scientifique Elsevier pour un montant estimé aux alentours de 45 millions de dollars. Pour Victor Henning, co-fondateur et directeur général de Mendeley, la décision de s’installer à Londres en 2010 après un doctorat obtenu à l’université de Weimar en Allemagne s’imposait : «Dans un contexte de recherche universitaire, l’anglais reste absolument incontournable et le site de White Bear Yard se trouve aussi à proximité des principaux sièges des grandes maisons d’édition ».
Tech City présenterait aussi des avantages spécifiques face à la Silicon Valley : «alors que les investisseurs londoniens se focalisent beaucoup sur le bilan et le business plan de l’entreprise, nos rencontres avec des investisseurs à San Francisco étaient beaucoup plus centrés sur l’interface de notre site Internet », explique James Gill, fondateur et directeur général de GoSquared, une société de surveillance et d’analyse en temps réel de sites Internet installée également sur White Bear Yard, «les valorisations d’entreprises sont aussi deux à trois fois plus importantes dans la Silicon Valley qu’à Londres, mais le développement produit y est aussi beaucoup plus cher». Les avantages d’une plateforme numérique londonienne gagnent du terrain.
Les promoteurs de Tech City n’entendent pas se reposer sur leurs lauriers. Prochaine étape : répliquer ce modèle de hub technologique dans d’autres villes d’Angleterre.