Avocate de formation, experte certifiée en médiation professionnelle, médiateure judiciaire, experte en traitement et prévention des Risques Psycho-Sociaux (RPS) et coach certifiée, Laure De Charette (ndlr : photo) perçoit au quotidien l’accroissement des difficultés relationnelles en entreprise et une montée corrélative des RPS. Soulignant les coûts humains et financiers importants générés par ces facteurs de risque, elle développe des outils adaptés pour permettre de poser des actions efficaces et pertinentes. Une approche permettant de remettre la qualité relationnelle au cœur des dispositifs, et d’accompagner les entreprises vers un changement d’approche systémique.
Source : Capital, septembre 2024
Vous êtes avocate de formation : qu’est-ce qui vous a conduit à développer d’autres expertises centrées sur l’humain ?
Laure De Charette : J’ai travaillé dans des cabinets spécialisés en droit des affaires, puis au département juridique d’un grand groupe international, et enfin à mon compte. J’ai pu constater que l’approche juridique ne permettait pas à elle seule de résoudre les conflits au sein des entreprises, car la dimension émotionnelle n’est traitée qu’en dernier lieu. Or, purger l’émotionnel est un prérequis pour que chaque partie puisse prendre de la distance et soit en capacité de raisonner afin d’identifier ses besoins réels et de se tourner vers la prise de décisions «gagnant-gagnant». J’ai créé PROMÉDIATION afin de définir un ensemble d’actions cohérentes s’appuyant sur une vision globale du fonctionnement de l’entreprise. Trois types d’expertises permettent d’aborder l’ensemble des problématiques rencontrées : la médiation, les interventions en RPS et le coaching. En combinant ces trois expertises, je peux proposer aux dirigeants des actions curatives et correctives (sur le court et le moyen terme) et des actions préventives (sur le long terme).
Il s’agit donc de poser des actions qui vont «dans le bon sens», en commençant par un travail centré sur l’humain et les interactions ?
L.D.C. : Tout à fait. Avant la mise en place de toute autre action, et tout au long du déroulement des enquêtes s’il y en a, il convient de traiter au préalable la dimension émotionnelle, humaine et interactionnelle. Lorsque l’humain fonctionne bien, que les interactions sont de qualité, la communication fluide et authentique, tous les challenges peuvent être relevés, toutes les difficultés dépassées. Chaque salarié peut alors exprimer pleinement son potentiel : il en ressortira un collectif performant, engagé, motivé et en confiance.
Je précise que pour que les actions produisent des effets, trois conditions doivent être réunies :
– L’intervention et les actions mises en place doivent être une priorité pour le dirigeant, au-delà de l’obligation juridique de prévention générale qui pèse sur l’employeur.
– Les actions doivent être posées à échéances régulières et dans une temporalité adaptée.
– Le dirigeant doit être prêt à appliquer l’ensemble des actions nécessaires pour traiter les problématiques dans leur entièreté.
Avez-vous un exemple d’action que vous avez été amenée à mettre en place ?
L.D.C. : Je peux évoquer une intervention à la suite d’une plainte pour harcèlement moral déposée par un salarié envers son n+1 et des signalements de mal-être au travail de la part des autres membres de l’équipe. L’Inspection du travail avait été saisie, avec mise en place d’une enquête RPS qui comportait un questionnaire et l’audition des membres de l’équipe. J’ai veillé à instaurer un rapport de confiance avec les salariés, les représentants du personnel, les RH et la direction : chaque salarié s’est senti entendu, ce qui a généré «une bulle d’oxygène» au sein du service.
71% des salariés affirment que la qualité relationnelle est le 1er facteur d’engagement dans leur travail
(IPSOS – Baromètre Santé des salariés 2023)
Que s’est-il passé une fois le rapport d’enquête rédigé et restitué ?
L.D.C. : J’ai préconisé et mis en place une série d’actions tenant compte des besoins exprimés par les salariés entendus :
– Un coaching individuel a été mis en place avec le n+1 : il a été d’autant plus efficace et ciblé du fait de la vision à 360° de l’équipe que nous avions recueillie.
– Des ateliers de qualité relationnelle ont été mis en place avec toute l’équipe, n+1 inclus, afin d’identifier les «nœuds» et les besoins.
– Des temps de médiation individuels ont été réalisés entre le n+1 et chacun des salariés en appliquant les principes de communication dispensés en atelier. Des engagements réciproques ont été définis.
– Un atelier collectif a été mis en place pour donner une visibilité globale sur le fonctionnement de l’équipe, ses engagements réciproques, identifier ses valeurs et un cap commun. Aujourd’hui, celle-ci fonctionne dans une dynamique positive, avec une communication fluide, un esprit d’entraide et de cohésion.
Quelle approche préconisez- vous au dirigeant dans ces cas de signalement de harcèlement au travail ?
L.D.C. : En la matière, l’obligation juridique du dirigeant comprend une quasi-obligation de résultat et implique d’agir vite. Il dispose pour cela de plusieurs dispositifs en fonction du contexte, de l’urgence ou du stade avancé de la situation :
–Une enquête RPS pour permettre l’identification des dysfonctionnements organisationnels, fonctionnels et relationnels générateurs de cette situation.
–Une enquête d’évaluation de la situation de harcèlement : les entreprises la confient souvent à une commission mixte paritaire interne. Je préconise aux dirigeants de faire appel à un organisme extérieur afin de garantir les obligations jurisprudentielles d’impartialité, de confidentialité et de loyauté: autant d’obligations déontologiques auxquelles je suis soumise en tant qu’avocate et experte en médiation et en RPS. Ces enquêtes doivent être correctement étayées et menées pour ne pas se voir contester ensuite devant les juridictions.
– Une médiation entre les parties concernées avec des séances d’accompagnement coaching préalables à la médiation en lieu et place de l’enquête harcèlement ou en parallèle de celle-ci.
Si l’enquête interne est menée par l’entreprise, il est important d’envisager la suite et de proposer des actions de médiation jumelées à des actions de coaching pour permettre aux parties et/ou au collectif d’être en capacité de reprendre le travail ensemble, notamment si l’enquête conclut à l’absence de harcèlement.
La santé mentale serait la 2e cause des arrêts maladie en France (sondage Malakoff Humanis, Baromètre de l’absentéisme, 2022)
Pouvez-vous évoquer les actions préventives que vous proposez ?
L.D.C. : Nous avons notamment mis en place un projet axé sur un dispositif de médiation externe, mis à la disposition des salariés, des managers, des DRH, des IRPP et des dirigeants ; il produit des résultats extrêmement positifs. Celui-ci s’intègre parfaitement dans la RSE de l’entreprise ainsi que dans les dispositifs de «bonne gouvernance» et de «gouvernance durable» qui devront figurer dans le Rapport de durabilité bientôt obligatoire dans les entreprises.
Nous proposons également un dispositif destiné aux managers, plus précisément dans le cadre de leur prise de poste. Il s’agit, en quelques séances de coaching suivies d’un travail avec l’équipe, de leur fournir des outils pratiques issus de notre expérience et de notre expertise.
La strate managériale est l’une de nos cibles privilégiées : les managers doivent impulser la motivation au sein de leurs équipes, prendre soin de la charge mentale de chacun tout en continuant d’assurer le fonctionnement du service et d’atteindre leurs objectifs. Il en résulte pour eux-mêmes une charge mentale intense, du stress, du doute… autant de facteurs de risques susceptibles d’entraîner des dysfonctionnements au sein de leurs équipes.
Les managers et les dirigeants que j’accompagne lors de coachings individualisés ont déjà suivi une formation de management ou un parcours de management mais force est de constater qu’il leur manque des outils et des enseignements-clés pour réussir leurs premières réunions d’équipe, déterminantes pour la suite. Nous avons également développé des projets de prévention destinés aux salariés.
Comment convaincre de l’importance de cette approche préventive ?
L.D.C. : J’explique aux dirigeants qu’il ne s’agit pas d’investir plus mais d’investir autrement dans leur politique de Qualité de Vie et des Conditions de Travail, de prévention générale des risques et de RSE : toutes les actions que nous définissons ensemble s’inscrivent dans le «S» de «Sociétale». Les entreprises posent le plus souvent des actions de sensibilisation et de formation ce qui est utile mais insuffisant. Elles investissent massivement dans des séminaires de team-building, la création d’espaces ou de moments conviviaux, des actions généralement appréciées des salariés mais qui ne produisent qu’un effet à court terme si des actions ciblées ne sont pas mises en place en amont ou en parallèle.
Quels sont les coûts humains liés aux dysfonctionnements relationnels et à la montée des facteurs de RPS ?
L.D.C. : Ils sont nombreux : arrêts maladie, absentéisme, turnover, coûts de remplacement et de formation, impact sur la rentabilité et l’efficacité, conflits sociaux, perte de talents… sans compter le temps passé à gérer ces situations par les RH, dirigeants, managers, IRPP, collègues…
Il existe aussi des coûts indirects : désengagement des salariés, baisse de motivation, dégradation de l’ambiance (défiance, stress élevé, tensions), risque de contagion émotionnelle ou encore un impact sur la marque employeur.
40% C’est la perte de rentabilité moyenne due aux RPS au sein d’une entreprise (AXIUM, 6e Livre Blanc, travaux préparatoires, enquête réalisée en 2023).
Et en termes de coûts financiers ?
L.D.C. : Une enquête a été réalisée entre 1974 et 2018 par l’Institut ISEOR sur le coût caché de l’absentéisme sur plus de 2000 entreprises. On parle de « coût caché» car celui-ci n’est jamais comptabilisé, ni dans les comptes de résultat ni dans les budgets. Or, il s’avère être gigantesque.
L’enquête prend l’exemple d’une société de transport de 100 salariés avec un taux d’absentéisme de 17,3%. Entre les «sursalaires» (versés aux absents), les «surtemps» (temps supplémentaires réalisés par les présents), les «surconsommations» (achats de services externes pour pallier les absences) et les «non-productions» (le travail non pris en charge par les présents), les coûts cachés atteignent 9600€/salarié soit un coût total annuel de 960 000 € ! Cette société a accepté d’investir 184 000€ pour la mise en place d’actions ciblées sur un an : elle a dégagé un gain net de 200 000€, avec une réduction de 40% de l’absentéisme et une rentabilité effective de 108%.
La question que je pose aux dirigeants est la suivante : combien pourriez-vous économiser en réorientant vos actions correctives/curatives vers des actions ciblées, centrées au préalable sur l’humain et les interactions, et plus encore en mettant en place des actions préventives ?
Parvenez-vous à évaluer ces coûts en amont de votre intervention ?
L.D.C. : Oui, grâce à un partenaire qui a développé un outil de diagnostic précis incluant une cartographie des mesures mises en place par l’entreprise, ainsi que leur coût. Ainsi, le dirigeant peut évaluer le montant à réorienter et à investir dans des actions ciblées. Idéalement, il convient d’inclure une ou deux actions préventives afin d’amorcer une véritable politique de prévention. À la fin de l’année, nous faisons un point ensemble pour mesurer l’impact humain et financier des mesures mises en place.
Dans 9 cas sur 10, les partenariats que nous nouons avec les entreprises sont reconduits.
Quels messages feriez-vous passer en priorité pour déclencher une prise de conscience ?
L.D.C. : Je m’adresse aux dirigeants : changez de paradigme en investissant d’abord sur l’humain, le relationnel et les interactions avant toute autre action pour obtenir des effets positifs sur le mieux-être au travail, la performance et la rentabilité. Les difficultés relationnelles sont l’une des premières sources de RPS.
Nous proposons à nos clients un véritable partenariat sur le long terme afin de les accompagner dans ce changement d’approche systémique, avec des actions qui traitent les problématiques de fond à moyen et long terme.
Soyez visionnaires, osez une approche différente !
Retrouvez également notre précédente publication vidéo, PROMÉDIATION : Remettre l’humain au cœur des dispositifs d’action et de prévention pour améliorer la santé au travail et la performance
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