Gestion privée: des modèles mis à mal

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Photo : D.R.
En souffrance depuis la crise financière, les banques privées peinent encore à relever la tête. Derrière les mauvaises conséquences issues de la conjoncture se cachent d’autres failles, plus profondes.

Une contraction des marges opérationnelles de 25 % ! C’est le chiffre phare qui ressort de l’étude European Private Banking 2010 menée par le cabinet McKinsey & Company auprès de 160 banques privées européennes. Les récentes années de crise ont malmené ces établissements, « jusqu’à diviser leur rentabilité avant impôt par deux en deux ans », précisent les conclusions de l’enquête. Si seuls 2 à 3 % des établissements souffraient de résultats opérationnels négatifs en 2005, ils étaient plus de 15 % en 2009. Une tendance qui contraste avec les années précédentes, caractérisées par des afflux effrénés de capitaux. La rentabilité d’exploitation correspondant aux revenus nets de charges rapportés aux encours gérés a connu une dépréciation de 40 % au cours de la seule année 2009. « Pour revenir à des niveaux de rentabilité d’avant-crise, les banques privées devraient diminuer leurs coûts d’au moins 20 % », estime Sébastien Lacroix, coauteur de l’étude.

 

« Peu de banques privées ont réussi à s’adapter aux contraintes édictées par la crise. Le besoin de changement rapide et d’adaptation des conditions tarifaires et de travail, n’a pas été au rendez-vous. » La baisse des revenus sur encours s’explique en partie par une allocation des capitaux vers des classes d’actifs moins risquées, un faible niveau des transactions au sein des portefeuilles et la contraction des marges sur dépôt. Les clients ont adopté une attitude prudente. Une situation face à laquelle les banques privées auraient trop peu réagi. Les établissements installés en France, épargnés dans un premier temps, n’ont finalement pas fait exception à la tendance. Avec la crise, l’érosion de leurs revenus et l’inertie de leurs coûts ont directement pesé sur leur rentabilité. En 2009, le revenu sur encours dans l’Hexagone a reculé de 11 % et ils peinent désormais à redresser la barre. « Avant la crise de 2008, notre métier avait une image mitigée. Ensuite, toutes les banques se sont retrouvées pointées du doigt, mises dans le même panier, alors que la crise trouve surtout son origine dans des choix politiques. Elle est le résultat de la volonté des gouvernements de ne pas vouloir accepter une baisse de la croissance économique », analyse Olivier Roy, directeur général chez KBL Richelieu.

 

Mais pour d’autres professionnels du secteur, les banques privées récoltent les fruits de leurs propres manquements, indépendamment de la conjoncture économique. « Une grande part des clients dotés d’une capacité d’épargne importante assure n’avoir eu aucun appel de leur conseiller pour leur expliquer la situation ou les orienter vers des arbitrages à effectuer au cours des périodes les plus sensibles. Les reproches ne portent pas sur leur compétence, mais sur l’absence de contact et le manque de réactivité », constate Vincent Cudkowicz, directeur général du courtier-conseil Bienprevoir.fr. Des écueils également rencontrés au-delà des frontières de l’Hexagone. En Allemagne, une enseigne de prestige, le groupe germano-luxembourgeois Sal. Oppenheim, a été reprise par Deutsche Bank après avoir défrayé la chronique après une série d’investissements ratés et des querelles entre associés. La banque a perdu son indépendance après 220 années d’existence. La nature insatisfaisante des relations clients était au cœur des débats.

 

De fortes disparités
Certes, les chiffres ne doivent pas masquer les bons résultats que certaines banques ont réussi à maintenir en dépit de la crise. L’enquête de McKinsey & Company révèle une grande dispersion entre les différents acteurs européens, notamment au niveau de la maîtrise des coûts. Les 25 % d’établissements les plus performants ont baissé leurs charges de 11 %, pendant que les 25 % les moins efficients les ont augmentées de 9 %. « Les politiques de fonctionnement peuvent être très différentes d’une banque à l’autre », souligne Sébastien Lacroix.

 

Certains pays s’en sortent mieux que d’autres. Les établissements suisses ont subi une baisse de la collecte limitée à 1 %, au plus fort de la crise, tandis que le Luxembourg a dû faire face à une décollecte de l’ordre de 5 %, en raison d’une plus forte exposition aux capitaux d’Europe occidentale. « Certains grands acteurs ont profité d’une mobilité des clients très marquée. Les deux dernières années ont aussi été l’occasion pour des structures familiales ou de niche de se démarquer », précise le coauteur de l’étude. Le positionnement plus mondial de la Suisse l’a donc protégée. Car ce sont les pays émergents, notamment asiatiques, qui fournissent l’essentiel des apports de nouveaux capitaux.

 

À l’exception notable du groupe UBS, les principales banques privées du pays ont affiché dès le premier semestre 2010 des apports importants de capitaux là où d’autres établissements européens faisaient toujours grise mine. Vontobel affichait une collecte nette (différence entre les souscriptions et rachats de produits boursiers) de 3 milliards de francs suisses, soit 2,28 milliards d’euros, sur la période. Sarasin & Cie se targue même de dépasser les 6 milliards de francs suisses (4,6 milliards d’euros) en la matière. Le bénéfice net de la banque suisse Julius Baer a augmenté de 6,5 % en 2010. Le succès des banques privées suisses ne s’explique pas par leurs récentes performances financières, qui ont par ailleurs souffert des variations de change et du recul des marchés, mais notamment par la stabilité économique et politique de la Confédération helvétique.

 

Toujours affaiblie par la reprise de Dresdner, la banque privée allemande Commerzbank peine à sortir du rouge et ne pourra rembourser avant 2012 la première tranche des 18,2 milliards d’euros d’aides reçues de l’État allemand. « Nous avons créé la surprise en dégageant un résultat avant impôts de 771 millions d’euros au premier trimestre 2010. Mais malgré ce rebond momentané, il est vrai qu’il est difficile de sortir la tête de l’eau », reconnaît Éric Strutz, directeur financier du groupe. Le dirigeant compare la banque à un coureur cycliste du Tour de France, « obligé d’affronter plusieurs cols de montagne avant d’espérer évoluer avec davantage de sérénité ».

 

Même si la crise fait partie du passé, les restructurations et les réformes internes dont ont besoin les établissements ne leur permettent pas forcément d’entrevoir le bout du tunnel. Pour Deutsche Bank, la refonte et notamment la reprise de Sal. Oppenheim ont conduit à une contraction du bénéfice au quatrième trimestre 2010 de près de 600 millions d’euros. Sur l’année, le repli s’annonce supérieur à 50 % par rapport à 2009. À l’inverse, la banque Metzler, détenue par la famille du même nom, a présenté des résultats flatteurs pour l’année 2009. Connue pour être la plus ancienne banque privée allemande, créée en 1674, Metzler revendique l’indépendance comme le facteur clé de son succès.

 

Emmerich Müller, associé chez Metzler, estime que son établissement « n’a pas besoin de chercher une clientèle nouvelle ou de modifier ses méthodes. Nous sommes appréciés, car nous servons les intérêts à long terme dans un souci d’accompagnement de proximité ». Il reconnaît que, contrairement à d’autres banques, leur approche représente un plus gros travail en matière de conseil, « mais il s’agit d’une des clés de la réussite à long terme ». D’autres banques privées allemandes sont cantonnées dans un rôle de conseil, comme M.M. Warburg & CO ou Hauck & Aufhäuser. Elles ont en général moins de 1 000 salariés et leur total de bilan oscille entre 2 et 5 milliards d’euros. Avec un ratio de fonds propres de 14,9 %, Metzler dépasse de loin les exigences légales de 4 %. Son résultat est quasi inchangé d’une année sur l’autre, à environ 2,3 millions d’euros.

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