Le mois dernier, il y avait foule au stand équatorien du Salon du chocolat, à Paris. Les trois producteurs venus présenter leur savoir-faire ne parlaient ni l’anglais ni le français, mais ce détail importait assez peu aux visiteurs. Leur chaudron était beaucoup plus captivant. « Un événement comme celui-ci constitue un excellent moyen de consolider notre réputation auprès des chocolatiers et des consommateurs finaux », affirme Lucia Espinosa, directrice du bureau européen de la Corporation équatorienne pour la promotion des exportations et des investissements (CORPEI), une organisation privée créée en 1998. Cependant, le pays andin ne se contente pas de ce genre d’événement. Sa stratégie de valorisation de la filière a pris un tout nouveau tournant cette année avec la mise en place d’un programme international de soutien (2008-2009). « Après un premier projet de cinq ans, qui avait essentiellement abouti à la création d’une coopérative de petits producteurs (l’UNOCACE), cette nouvelle phase semble plus prometteuse », estime Michel Jacquet, chercheur du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherches agronomiques pour le développement), et spécialiste du cacao équatorien.
Soutenu par la coopération allemande (GTZ) et la Banque interaméricaine de développement (BID), le plan dispose d’un budget supérieur à un million de dollars. Il vise à augmenter, en étroite collaboration avec les producteurs, la présence sur les marchés du cacao fin et aromatique produit en Équateur. Leur compétitivité est encouragée par des conseils scientifiques et commerciaux. Le cacao traditionnel « Nacional », célèbre pour sa saveur florale « Arriba », fait l’objet d’une attention toute particulière. « L’objectif consiste à cultiver 50 000 tonnes de cette variété d’ici à 2012 », indique Lucia Espinosa. Dans cette démarche, les producteurs sont encouragés à unir leurs forces. « Environ 80 % des cultures ont une superficie inférieure à huit hectares. Nous souhaitons voir les coopératives se développer à l’avenir, sur l’exemple de l’UNOCACE, qui produit 1 500 tonnes par an », indique Lorena Solórzano Salazar, responsable de la filière cacao à la CORPEI. Parallèlement, la corporation s’attache à développer les produits biologiques. « Seulement 6 000 tonnes de fèves sont actuellement certifiées par Ecocert (un organisme de certification implanté dans 50 pays, ndlr). Nous guidons 2 000 producteurs dans l’élaboration de leurs cahiers des charges qualité et dans l’obtention de certificats biologiques. » Si les spécialistes se félicitent de ces initiatives, signes de l’intérêt porté par l’Équateur à son cacao, il règne aussi une certaine inquiétude.
« Le Nacional étant sensible à des maladies comme la moniliose et le balai de sorcière, l’Équateur a poussé les scientifiques à créer une variété très productive, mais très peu aromatique, le CCN-51 (entre 20 000 et 50 000 tonnes produites aujourd’hui, ndlr). Or, les lots se mélangent et la teneur en Arriba s’avère difficile à déceler », explique Michel Barel, le directeur de recherches au CIRAD. En 2004, l’Organisation internationale du cacao (ICCO) avait classé « cacao fin et aromatique » 75 % de la production équatorienne. « En réalité, le chiffre avoisine les 30 %. Le risque pour les producteurs est de voir le pays déclassé ou perdre des clients chocolatiers, lassés de ne pas obtenir la saveur qu’ils ont achetée au prix fort », s’inquiète Michel Barel. « La position des acheteurs n’a jamais été très claire », tempère Michel Jacquet. « Le CCN-51 a toujours trouvé un marché – même s’il est vendu avec une décote voisine de 50-80 dollars la tonne (environ 40-64 euros la tonne) – alors qu’un cacao “Nacional” peut obtenir, sur le marché conventionnel, des premiums de 250 à 280 dollars la tonne (de 199 à 223 euros la tonne). Les acheteurs pratiquent fréquemment un double langage : les mêmes entreprises qui affichent ouvertement leur préférence pour le cacao “Nacional”continuent d’acheter du CCN-51. »
Cartographie des saveurs
Autres priorités de la CORPEI : la provenance du cacao et la création de dénominations d’origine (l’équivalent des AOC) actuellement à l’étude. « Il existe différents types de fèves en Équateur. À l’image du jambon de Parme ou du vin de Champagne, nous souhaitons que les producteurs eux-mêmes se saisissent de ces spécificités régionales en procédant à de meilleurs tris », explique Lucia Espinosa. « Les vergers traditionnels présentant la plus forte proportion de cacao “Nacional“ sont établis près de Vinces et dans le Valle de Manabí (plus spécialement autour de Chone). Ces zones ont été privilégiées par la CORPEI pour définir des dénominations d’origine », précise Michel Jacquet. « L’Indication géographique (IG) n’implique pas automatiquement une meilleure rémunération : elle garantit l’origine du produit. Elle nécessite la mise en place d’un cadre juridique, de cahiers des charges et d’outils de contrôle. Elle peut être associée à d’autres signes de qualité. Sa valorisation et, par conséquent, une meilleure rétribution des producteurs nécessitent qu’une action commerciale vigoureuse soit entreprise pour favoriser sa promotion. »
Le cacao équatorien en chiffres
– 120 000 tonnes de cacao produites chaque année (sur un total mondial de plus de 3 millions).
– 105 000 tonnes exportées en 2007 (soit 52 % vers l’Union européenne)
– 100 000 familles travaillent dans le secteur
– La fève de cacao est le 3e produit agricole du pays, représentant 9 % du PIB sectoriel et 1 % du PIB national.
– 37 % de la production mondiale de cacao fin et aromatique provient d’Équateur.
Source : CIRAD, d’après les chiffres de l’ICCO